proposition du 19 septembre 2005
Miaou... Euh, bonsoir, Cette semaine, je vous propose donc :
Une japonaise décidée à se débarrasser de la femme de son amant est
allée se plaindre à la police du tueur qu'elle avait engagé et qui
tardait à exécuter le contrat.
Bonne inspiration,
A bientôt,
Yvanne
- Papiers, s.v.p.
Cela fait des années que j'ai des contacts réguliers avec
l'administration. Et cela fait des années que je me pose la
question : ces gens écoutent-ils ce que les simples citoyens leur
disent ?
- Je viens de vous dire que mon véhicule a été fracturé et que ma
veste a disparu.
- Vous venez effectivement de me le dire Brissa-san, mais je ne vous
demande pas votre veste, simplement vos papiers.
Tout le commissariat se met à rire. Le flic de service a l'air de
bonne humeur, ses collègues aussi. Un anniversaire, ça n'arrive pas
chaque jour rajoute le planton. Je lui répond qu'à voir le nombre de
gens derrière le comptoir, s'il n'y a qu'un anniversaire par an et par
personne, le commissariat doit être en fête chaque matin, et souvent
l'après-midi. Et je me mets à rire avec eux.
- Brissa-san, son ton est paternel, je devrais vous coller une amende
pour outrage à agent dans l'exercice de ses fonctions, mais comme vous
avez l'air de prendre votre malheur avec calme, je n'en ferai rien.
C'est vrai, un veston envolé, même si mes papiers l'ont suivi, cela ne
fait pas un gros problème. Même à Tokyo. Même pour un Belge à Tokyo.
Je me suis retourné vers le banc de la salle d'attente. J'aurais voulu
comparer, pour autant que faire se peut, ou deviner, le pourquoi de la
présence de ces gens. Je n'ai pas eu le temps : une furie est
entrée.
Imaginez une geisha, ou plutôt, une femme habillée comme une geisha,
un kimono rouge, décoré de pétalles de cerisier, petits bouts de
tissus rose artistement déposés, donnant l'impression de tomber d'un
arbre dont on ne voit qu'une branche, mais sali par je ne sais quel
liquide que l'on aurait renversé ; l'obi blanc, ou qui a du
l'être, mal noué, avec des taches de doigts si grosses qu'elles
ressemblent à des traces de mains essuyées ; les sabots aux
talons hauts maculés. Et le visage. Il a été peint. En blanc comme il
se doit, les lèvres rouge sang, les sourcils noirs geai tout comme les
cils. Les larmes ont gâché un travail de plusieurs heures : le
Rimmel a coulé sur les joues, un poignet a servi de mouchoir, étalant
et mélangeant les couleurs, mettant la peau à nu par endroits, une
peau que l'on devine fatiguée. A ce spectacle peu engageant s'ajoutent
les cris aigüs d'une truie qu'on égorge : madame veut déposer
plainte.
- Brissa-san ?
- Non, laissez, madame a l'air d'avoir une urgence plus urgente que la
mienne.
Je me recule pour prendre place sur le banc, laissant le comptoir à la
furie. Personne ne réclame. Personne ne pense même à réclamer. Je
m'assois.
Je pense à mon petit problème. Représentant de l'industrie wallone au
Japon, c'est la première fois que ma voiture est visitée. C'est donc
la première fois que je passes dans un commissariat tokyote. Pour être
honnête, je ne sais pas vraiment quelle attitude je dois avoir. Je
souris seul en pensant qu'à Bruxelles je n'aurais pas plus su comment
me tenir.
- Hiroshi Desu. Je voudrais, non, je dépose plainte contre Hiroshi
Desu. Pour publicité mensongère.
A l'évocation de ce nom, le planton sourit : est-ce le sake tiède
qu'il a ingurgité pour l'anniversaire qu'il va fêter qui le pousse à
sourire ou le fait qu'Hiroshi Desu soit un humoriste connu, je ne
sais. Toujours est-il que le silence se fait dans la pièce, ce qui me
sort de mes pensées.
- Madame, calmez-vous voyons.
- Je l'aime. Et il est marié.
- Vous l'aimez, c'est bien. Nous aussi on l'aime. Mais Hiroshi
Desu-san est célibataire!
- Je sais qu'il est célibataire ! Mais il est marié. Et je
l'aime. Ecoutez ! Non, écoutez sans rien dire. Je l'aime. Il est
marié, alors sa femme, j'aurais voulu m'en débarasser. Je n'ai pas les
moyens de m'offrir les services d'un tueur…
- Parce que vous auriez voulu la faire…
- Taisez-vous ! Alors, moins cher qu'un tueur, il y a Hiroshi
Desu. Enfin, c'est ce qu'on m'avait dit.
Et elle ajoute, l'air faussement triste :
Hiloshi desssss. Hitoli goulashi nanoni, élo hone o kakoushimasss…
foutone no shta dessss. (Moi Hiroshi Desu… Même si je vis seul, je
cache mes bouquins porno… ils sont sous mon matelas.)
Ses mimiques et sa prononciation faussement gênée de célibataire
boutonneux font mouche : tous rient. C'est que si on l'entend
elle, on le voit lui. Hiroshi est célèbre. Il passe à la télé.
Un homme, calme jusqu'ici, lance :
Hiloshi desssss. Kééétaille dènewa o kaétala, itazoula dènewa ga
nakounalimashta… tchote to samishikato desssss… (Je suis Hiroshi…
Lorsque j'ai changé de téléphone, je ne recevais plus de coup de
téléphone de commerciaux pour vente de moquettes…. ça m'a rendu
triste.)
Je ris de bon coeur comme les autres. Avec son habitude de parler des
travers de la société, Hiroshi Desu fait mouche à tous coups. Je
lance : la chauve-souris !
De tous les sketches d'Hiroshi, c'est celui que j'aime le plus. Et
vous le connaissez ce sketch qui est la version japonaise d'une
histoire de Bigard.
Mais si, vous la connaissez : d'après les statistiques, vous avez
une chance sur un million de vous faire mordre par une chauve-souris,
la bête doit connaître mon digicode, prendre l'ascenseur et s'arrêter
au bon étage… vous voyez que vous la connaissez !
Mais racontée par le planton qui imite Hiroshi qui imite Bigard se
prenant les doigts dans les bretelles du pantalon, avec c'te femme qui
rit à en pleurer et qui pleure de rire, s'essuyant le visage en
mélangeant plus encore les poudres, pommades et rouges à lèvres, ça
vous ne connaissez pas. Et c'est un manque à votre éducation. Quel
moment, mes aïeuls.
La mégère, entre deux hoquets, revient à la charge :
- J'aurais voulu qu'elle disparaisse, qu'elle meure.
Le planton se sert un saké chaud, en verse un verre à la dame, vide le
sien, puis l'autre, avant que la dame ait eu même le temps de tendre
la main, imite la chauve-souris, ce qui relance l'hilarité
générale :
- Et vous comptiez sur Hiroshi pour vous en défaire ?
Oh, bonne mère ! Nous sommes plus d'une centaine sur le plateau à
rire, à regarder ce flic beurré, bonhomme d'un mètre soixante-cinq
tout droit, ce qu'il n'est que rarement, occupé à prendre note d'une
plainte d'une femme pliée en deux de rire, ce qui ne lui laisse pas
plus d'un mètre. Ou un mètre-cinq quand elle a un soubresaut.
Et elle se paye un soubresaut la soubrette. Un dernier. Avant de
s'effondrer.
Morte.
Quand les ambulanciers sont arrivés, le fou rire n'était pas encore
éteint. Pour tout dire, quand l'un d'entre nous, c'est pas moi, je le
jure, a lancé « Hiroshi Desu », les rires sont repartis,
suivis des pleurs de rire, puis des insultes des ambulanciers.
Insultes dont nous n'avions cure.
Et le planton nous a chassé, oui ! mis dehors comme des
malpropres.
A côté de la porte, il y avait une affiche. En la voyant, je me suis
mis à rire, mais à rire : j'ai enfin compris ce qu'elle voulait
dire en parlant de publicité mensongère ; l'affiche annonçait le
spectacle d'Hiroshi, son titre ? « Mort de rire! »
- © Christian Brissa
- septembre 2005