proposition du 27 février 2005 :
une voiture est arrêtée sur une bande d'arrêt d'urgence d'autoroute.
La gendarmerie, prévenue, vient contrôler le conducteur qui ne semble
pas en état de conduire.
L'éthylotest est négatif et les gendarmes escortent le véhicule
jusqu'à l'aire de repos la plus proche.
L'automobiliste fait un somme puis repart.
Il perd le contrôle de son véhicule peu après.
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
Et c'est fait. Demain les affiches sortent de l'imprimerie.
En dix fois plus gros que n'importe qui mon nom s'étalait.
Ce ne s'ra pas aussi grand, mais ce s'ra lisible.
Je m'voyais déjà adulé et riche.
- Hé connard reste sur ta bande, y a assez de place pour tout le monde
sur la route.
Bon sang, il m'a fait peur ce con.
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
Dans un mois, chuis sur scène.
Rufus n'a qu'à bien se tenir.
Bon sang, encore un crétin ! Où ont-ils appris à conduire ?
Et en plus, ça se permet des coups de klaxon !
Et, merde c'est pas les autres qui roulent mal, c'est moi. Il
faudrait que je me calme. Penser à ce que je fais. Ne plus penser à ce
que je vais faire. En voiture c'est préférable.
M'arrêter. Il faut que je m'arrête. Prochaine aire de repos :
12km. C'est trop, j'y arriverai pas. Je suis trop distrait. Bande
d'arrêt d'urgence. C'est pas fait pour, mais j'ai pas mieux.
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
Ho la la, quel bonheur. Quand j'ai vu Rufus, il ya longtemps, j'ai
trouvé ma vocation, ma voie. Dans un mois, c'est mon tour.
Qu'est-ce qu'ils me veulent les schtroumfs ?
Mais non, j'ai pas bu. Quoi un sourire niais ? Pouvez pas
comprendre, je suis euphorique. Pas soûl, simplement euphorique. Et
distrait.
J'vous l'avais dit et votre éthylotest dit la même chose : j'ai
rien bu.
Je sais m'sieur l'agent, je ne peux pas rester ici. Mais j'ai la tête
qui bout, je pense trop.
D'accord, je vous suis jusqu'à la prochaine aire de repos et je dors.
Promis.
Dormir.
Et rêver.
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
Michel Bouquet, Rufus. Et moi.
Nous avons joué « En attendant Godot ». Tous les
trois : eux c'est vrai. Moi, j'ai toujours dit que j'avais tenu
le rôle titulaire : Godot himself. Comme Godot n'existe que dans
le titre…
Dormir encore.
Et rêver encore.
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
Michel Bouquet comme partenaire. Je prends le rôle à Rufus. Normal, je
suis meilleur que lui. Non ?
Bon sang ! Trois heures que je dors, bobonne va s'inquiéter. Il
faut que je rentre. Et ce portable qui est plat.
Allons-y. En route !
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
V'la que ça me reprend. L'affiche. Quelle affiche ! Sobre, de bon
goût. Un fond gris, un banc gris, un arbre noir. Mon nom en grand.
Mon rêve. Enfin, je vais réaliser mon rêve. Jouer au théâtre. Un vrai
théâtre. Plus une arrière-salle d'un café.
C'est vrai qu'elle est belle cette affiche. C'est pas parce que c'est
moi qui l'ai dessinée. Trois feuilles vertes, une boîte en carton. Non
elle est vraiment belle.
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
D'ailleurs, l'affiche est là devant moi. Je…
« …espérer la fin des violences en Irak.
Hier, à la clinique Saint-Pierre à Ottignies où il était toujours en
soin depuis le grave accident qu'il a eu il y a un mois, l'acteur de
théâtre amateur Jean-Philippe D. est sorti du coma au moment même où,
au théâtre Jean Vilar à Louvain-la-Neuve, commençait la représentation
de la pièce « En attendant Godot » qu'il devait interpréter.
Pour une raison que les médecins ne s'expliquent pas, Jean-Philippe D.
a pleuré pendant toute la durée de la représentation avant de sombrer
à nouveau dans un coma profond à la fin de la pièce.
Prochain rendez-vous avec l'information à 8 heures. »
Je m'voyais déjà en haut de l'affiche.
Oui, c'est bientôt mon tour.
En dix fois plus gros que n'importe qui mon nom s'étalait.
Je vais leur montrer.
Je m'voyais déjà adulé et riche.
C'est bobonne qui sera contente.
- © Christian Brissa
- février 2005