Bonjour !
Vous attendiez le sujet de la semaine ? Le voilà ! « La
jeune fille aux cheveux blancs »
Bonne inspiration,
À bientôt.
Je n'ai pas totalement respecté le sujet donné par Yanne, mais cela n'a que peu d'importance. J'ai participé à ma manière, finalement, c'est ce qui compte. Non ?
« Pour avoir, en temps de guerre, porté les armes contre un pays
ami, cette cour vous condamne à 10 années de réclusion. »
Mon avocat me salue, je ne le reverrai plus.
Je ne l'ai rencontré pour la première fois qu'hier, dans la soirée. Il
a mon âge, il n'a pas fait la guerre, il est plus jeune que moi. Je
lui ai raconté des salades, que j'étais photographe de formation, ce
qui est vrai, mais que j'ai demandé à changer d'affectation pour
devenir correspondant de guerre, ce qui est faux. Il l'a cru. Le
tribunal aussi. Voilà pourquoi je n'ai pris que dix ans. Voilà
pourquoi j'ai évité le « Tir National » et le peloton
d'exécution. Dix ans à passer en tôle ! Mais pourquoi, bon
Dieu ?
La guerre a commencé en mai. Le dix. Elle s'est terminée en mai. Le
vingt-huit. Dix-huit jours ! Pas un de plus, pas un de moins.
Puis la prison. Déjà.
Prisonnier de guerre. Prisonnier parce qu'on a fait son devoir. Parce
que nos chefs n'ont pas fait le leur. Sinon, on aurait tenu plus
longtemps. Enfin, c'est ce que disent les Français qui nous accusent
de les avoir trahis. Ils ont facile à dire : ils n'ont tenu que
dix jours. Encore moins que nous.
Trois mois en prison. Puis il est arrivé. Jeune encore, un peu moins
que moi, les cheveux tirés vers l'arrière, sûr de lui. Certain de nos
réponses. Normal : cela fait trois mois qu'il est en prison lui
aussi. Mais pour faire sortir ceux qui le veulent. La Belgique a perdu
. La France a perdu. L'Angleterre, et avec elle, tout le Royaume-Uni
ne résistera pas, ne tiendra pas l'hiver. Nous avons fait notre
devoir. Notre Patrie peut être fière de nous. Mais notre Patrie,
maintenant, c'est l'Allemagne. Ceux qui le désirent peuvent endosser
l'uniforme des vainqueurs, ils ne se battront pas sur le front de
l'ouest. Et comme il n'y a pas de front à l'est…
J'attends à la gare. Ce n'est pas le premier train que j'attends,
mais cette fois j'attends aussi ma grand-tante Rébecca. Elle est
fourbue quand elle descend du wagon destiné au transport de bestiaux,
mais me voir lui redonne du courage. Elle se redresse, fière, droite
malgré son âge et ses cheveux blancs.
- « Tu vois, nous ne serons pas seules ! » lance-t-elle
a sa fille.
- « Vous êtes grand-mère, ma tante ! Félicitations. »
Elsa tient un enfant dans ses bras. Elle aimerait que je le prenne
pour le cajoler. Plutôt que de lui faire plaisir, je lui explique
qu'elles vont aller se laver, on va tuer les poux qu'elles
transportent sans le vouloir, qu'elles vont recevoir des vêtements
propres avant d'être envoyées ailleurs. Où ? Je ne sais pas.
Quelle importance cela peut-il avoir ?
J'ai vu passer presque toute ma famille. J'ai été remercié. J'ai reçu
un nouveau grade.
Sous-lieutenant, j'ai demandé à changer de travail. Et je me suis
retrouvé au front, dans ces pays de l'est que je ne connaissais pas.
Avant la débâcle. Pendant la débâcle. Après la débâcle. Avant de me
faire arrêter en uniforme SS par un soldat Canadien. Avant de me faire
juger. Avant de me faire condamner.
Arrivée d'un fourgon à Saint-Gilles. Je reconnais un ancien
« camarade de régiment » et m'enquiers de Paulo avec qui
j'ai fais les quatre-cents coups, Paulo qui devait être jugé le même
jour que moi et que ne n'ai pas revu.
- « Il en a pris pour combien ? »
- « Il n'était pas photographe. »
- © Christian Brissa
- juin 2005