Il était une fois, il y a bien longtemps, en un lieu où aucun d'entre
vous, amis lecteurs, n'est jamais allé, un groupe d'Hommes qui
discutaient.
Je ne sais si vous l'avez remarqué, mais, quel que soit l'endroit sur
Terre, si on se prend pour une intelligence supérieure, on se fait
appeler « Homme » (je ne comprends donc pas pourquoi
certains Hommes insistent tant pour être appelés « Femmes »,
celà déroge à la règle générale). J'ai remarqué, pour ma part, que
cette règle prévaut aussi ailleurs, sur les autres planètes.
Puisque cette histoire débute sur une autre planète, je recommence…
Il était une fois, il ya bien longtemps, sur Mars, un groupe d'Hommes
qui discutaient.
Si nous, Terriens, avions pu assister à la scène, jamais nous ne les
aurions appelé « Homme », car en fait d'Homme, ces êtres
ressemblaient plutôt à des gerboises.
La gerboise est définie, dans le Petit Larousse, par ces mots :
GERBOISE n.f. (mot ar.). Mammifère rongeur aux longues pattes postérieures à trois doigts, qui bondit et creuse des terriers dans les plaines sablonneuses de l'Ancien Monde et de l'Amérique du Nord.
La définition du « Petit Robert » est plus imagée, mais le « Larousse » a une image.
Mais revenons à nos Martiens. Ils ressemblent à des gerboises, mais leurs pattes antérieures sont plus longues, et, surtout, leur crâne est difforme : ils ont une bosse qui court des oreilles jusqu'au milieu de leur museau, cette bosse est si large qu'elle repousse leurs yeux sur l'avant du visage.
Si j'insiste sur cette description, ce n'est pas pour noircir du papier, c'est pour que vous sachiez immédiatement, amis lecteurs, à qui vous avez à faire : des êtres petits, vivant dans des terriers. Le surnom de Mars étant, « la Planète verte », on y trouve peu de sable, les gerboises ont du s'adapter: elles sont devenues intelligentes. Elles préfèrent le nom d'Homme.
Or donc, quelques Martiens discutaient. Des bruits couraient sur Mars. Des bruits alarmants. Quelqu'un a entendu dire, mais il ne sait plus ni où ni de qui, qu'un danger pèse sur Mars, lequel, il ne sait pas. Bah, c'est sans importance, tant qu'on a la santé. Et son jardin lui donne la santé. Car sur Mars on cultive. On cultive de l'herbe. Non ! pas celle dont certains veulent libéraliser l'usage, l'autre, celle qu'on trouve sur les terrains de football et ceux de hokey sur gazon. J'aurais du écrire : sur Mars on cultive du gazon, cela vous aurait évité une erreur de compréhension. Chaque Martien cultive un à deux hectare de gazon pour lui. C'est beaucoup, mais que voulez-vous ? On est gourmet sur Mars, on ne mange pas la plante entière, on se contente des jeunes pousses. Un ville martienne typique est donc un terrier, qui regroupe environ deux mille individus, un terrier d'une petite centaine de mètres de diamètre entouré de deux à trois mille hectares de gazon. Cette verdure permet à la ville de se débarrasser de ses déchets ménagers et d'absorber les fumées industrielles. Car il y a une industrie sur Mars : la métallurgie, le fer étant, après le gazon, ce qu'on trouve le plus facilement sur la planète.
La vie sur Mars est agréable. Ce serait le Paradis si il n'y avait
ces rumeurs.
Les rumeurs sont aussi une constante chez ceux qui se disent
intelligents. « Il n'y a pas de fumée sans feu » est un des
proverbes communs à toutes les civilisations, où qu'elles se trouvent.
Si on réuni deux hommes, il y en a un qui commande, s'ils sont trois,
il y en a un qui est le chef, s'ils sont dix, il se trouvera quelqu'un
qui sait. Qui sait quoi n'a aucune importance : il sait, c'est un
savant.
Mars compte quelques savants. Certains savent vraiment. Ils savent
observer. Et notamment le ciel.
Couchés à même le sol, les yeux mi-clos, un morceau d'herbe à la main,
ils révassent : ce sont de simples citoyens.
Couchés à même le sol, les yeux mi-ouverts, un morceau de crayon à la
main, ils regardent : ce sont des savants.
Et que voient-ils ? Une comète.
Enfin, ils n'en sont pas certains, ils ont beau être savant, ils ne
savent pas tout.
Des courriers ont parcouru l'Empire : les savants doivent se
réunir. Les savants se sont réunis, se sont couchés, ils ont vu.
Si la comète était venue du côté du soleil, ils ne l'auraient pas vue
venir. Mais elle tombe de la partie du nuage de Oort qui est opposée
au soleil. La chance est avec eux, elle est visible la nuit.
La comète est énorme. Elle est énorme et se dirige droit sur la
planète. Ceux qui savent compter l'affirment haut et clair : le
choc sera terrible, pire, la catastrophe est imminente : il faut
partir. Quitter Mars. Pour aller où ? La Grande Gerboise seule le
sait.
La métallurgie recrute, il n'y avait pas de chômage : il n'y en
n'a toujours pas. Seule l'agriculture perd ses ouvriers : le
gazon n'est plus entretenu.
La métallurgie fabriquait des cylindres pour étayer les terriers,
désormais ces cylindres seront réunis, ils changeront de nom :
seul, un cylindre est un étai, en botte, c'est une fusée. Ce à quoi
vont servir les fusées construites reste un secret.
Un secret étant quelque chose que l'on ne dit qu'à une personne à la
fois, les Martiens sont de plus en plus nombreux à le connaître.
La rumeur disparaît : elle se transforme en certitude d'abord, en
polémique ensuite. Si certains se disent qu'ils doivent partir,
d'autres, beaucoup plus nombreux s'y refusent, arguant du manque de
connaissances de leurs savants. D'ailleurs, si certains experts
se prononcent pour le départ, d'autres affirment le contraire.
Mais le travail continue : puisqu'il en faut moins, les fusées
seront construites à temps.
Les fusées sont prêtes. Les départs commencent. Les volontaires en ont remplis quelque milliers. Dans chaque fusée, un couple de savants, un chef, quelques centaines de citoyens, un plein de carburant et un plein de semences de gazon. La destination est restée la même : l'inconnu. La règle : on fonce droit devant et on regarde où on arrive. C'est que personne n'a une idée, même vague, du temps que prend un trajet jusqu'à la planète la plus proche, personne jamais n'a quitté Mars avant cette nuée. Ce départ pour le moins précipité leur a donné l'occasion de crér la MASA (Mars Aero Space Administration), mais pas de tester le matériel.
L'attraction exercée par Jupiter et Saturne sur la masse imposante de
la comète l'a morcelée, ce qui se voit par le nombre important de
queues de comètes qui apparaissent et illuminent le firmament. Restés
sur Mars, quelques savants ont observé l'éclatement de la comète. Ceux
qui ne voulaient pas partir se disent qu'ils ont bien fait. La comète
ne les atteindra pas.
Faut-il le dire : ces savants se sont trompés. Le plus gros
morceau de la comète a atteint Mars.
Composée en majorité d'ozone solide, la comète à fondu dans
l'atmosphère de Mars faisant chuter brutalement la température,
congeleant les pauvres bougres qui avaient refusé de partir.
En quelques semaines, l'ozone, maintenant gazeux, a fait son travail:
Mars rouille, « Mars la Verte » devient « Mars la
Rouge» …
De l'Espace, les voyageurs voient s'opérer le changement.
Ici, j'ouvre une petite parenthèse.
Je sais que pour avoir plus facile à suivre une histoire, le lecteur
préfère mettre un nom sur les personnages.
Am stram gram, pic et pique et collégram, je choisi une fusée au
hasard dans le lot : l'Erika.
Le hasard a bien fait les choses, l'Erika est une fusée, comment
dirais-je, comme les autres. Ni plus, ni moins.
Rebelotte, un nouveau choix est laissé au hasard. Voilà j'ai un
couple : Georg et Pola.
Ils sont mariés, la morale est sauve. Ils ont un air intelligent qui
me plaît. Normal, ce sont les savants embarqués. Je n'aurais pas pu
mieux tomber.
Georg, qui a compté ses compagnons de voyage, sourit en se disant
qu'ils sont 2001 pour l'odyssée dans l'espace.
Fermons la parenthèse.
Pour éviter de s'abimer sous l'effet des différences de température
entre le côté au soleil et le côté à l'ombre, l'Erika tourne sur
elle-même. Quand leur tour arrive d'être à une des rares fenêtre du
vaisseau, Georg et Pola ont l'occasion de voir la planète Rouge. Ils
voient aussi qu'ils s'approchent de la planète Grise. Ils ne voient
plus les fusées parties avec la leur. Ils se sentent seuls, mais le
moral est bon. La planète Grise semble inhospitalière, mais
baste ! Ils ne savent rien faire. S'il faut y aller, ils iront.
Et advienne que pourra.
D'après leurs observations, si elle est grise, c'est que la Terre est
le siège d'une intense activité volcanique. Elle n'est pas simplement
inhospitalière, elle est franchement inhabitable. Le gris est dû aux
nuages de poussières qui flottent dans l'air. Si c'est là qu'ils
doivent aller…
Mais ils n'y arriveront pas.
Enfin, pas tout de suite.
C'est le hasard qui m'a fait suivre cette fusée. Le hasard n'a pas
fait les choses comme il faut : l'Erika prend un morceau de
comète de plein fouet. Personne n'a résisté au choc. Le bloc, qui a
quelques kilomètres de large, a fondu. Enfin, juste à l'endroit de
l'impact. La fusée l'a pénétré de quelques centaines de mètre, puis la
masse froide s'est refermée, effaçant la cicatrice. La comète, avec
l'Erika et, à son bord Georg, Pola et quelques autres, continue son
voyage.
Puisque je ne sais pas où sont les autres fusées, il faudra bien que
je reste avec celle-ci.
Le voyage d'une comète est assez simple : du nuage de Oort vers
le centre du système solaire en accélérant à fond. Mr Sécurité répète
inlassablement que « la vitesse, c'est dépassé », les
comètes n'en n'ont cure : elles foncent. Dès qu'elles arrivent à
hauteur du soleil elles se mettent à le contourner avant de retourner
d'où elles viennent. Elles ralentissent jusqu'à s'arrêter. Et elles
recommencent, elles recommencent, elles recommencent sans cesse, sauf
accident bien entendu. Ah! la vitesse, quand on vous le dit…
L'Erika, coincée dans sa gangue d'ozone est du voyage. Combien de
tours effectués par l'Erika, je ne sais pas, je ne les ai pas comptés.
Dix, douze, quinze ou, beaucoup, plus… mais à 75 années le trajet,
celà fait un bail. L'Erika retourne, pour la dernière fois, à sa
source. Visiblement, personne ne l'y attend. Elle fonce sur celles
qui, à la longue, seraient devenues des comètes. En fait, elle se
comporte comme un chien dans un jeu de quilles. Cognant deux ou trois
« glaçons », elle provoque un accident comme il en arrive
une fois tous les, je ne sais combien de milliers d'années : la
chute d'un glaçon d'une taille difficile à s'imaginer. Cette petite
merveille ressemble a un silex travaillé en pointe de lance, mais une
pointe de près de six mille kilomètres de long. De bleu ciel à un
bout, sa couleur disparaît, cette comète naissante n'est composée que
d'oxygène et d'eau. Ce monstre vient d'être mis en mouvement. Il
commence une descente vers le soleil.
L'Erika le suit.
Si un passager de l'Erika avait pu admirer le paysage, il en aurait
été soufflé. Au cinéma, IMAX, Dolby stéréo avec Surround ne
suffiraient pas à rendre une impression valablement. La Terre a
beaucoup changé. De grise, elle est passée a une couleur plus sombre,
un noir profond, sans le moindre reflet. L'atmosphère, bien visible à
la couronne, a des reflets rouges sang : imaginez un oeil rouge
avec une grande pupille. Une très grande pupille. Le contraste entre
les deux couleurs est saisissant.
La comète fonce vers le soleil. Mais la Terre est sur sa route. Le
choc semble inévitable.
Cette comète d'eau et d'oxygène a, heureusement, subi le même effet
que celui subit en son temps par celle qui retient l'Erika : la
gravité l'a réduite en morceaux. Les traînées se multiplient, donnant
l'impression d'un feu d'artifice. Un feu de glace tombant sur Terre.
Cette glace explose et fond au contact de l'atmosphère terrestre, des
milliers de tonnes d'eau tombent, entraînant la poussière, nettoyant
l'air. Des milliers de mètres cube d'oxygène arrivent, soufflant la
poussière vers le sol. Quelque dixièmes de secondes suffisent :
la comète a disparu, elle a pénétré la Terre comme un spermatozoïde
pénêtre un ovule. Elle en fait maintenant partie. La planète Grise a
définitivement disparu : sa couronne gonfle et devient bleue.
C'est une planète nouvelle qui va accueillir l'Erika.
De la comète qui menaçait Mars d'une destruction totale, il ne reste
qu'un morceau de quelques dizaines de mètres de long. La protection
qu'il apporte a l'Erika est juste suffisante pour la traversée de
l'atmosphère. La fusée se désagrège avant l'arrivée au sol, elle perd
ses réservoirs de carburant avant ceux de semences de gazon. Tous les
morceaux tombent à l'eau, le long de ce qui plus tard sera connu sous
le nom de côte de Bretagne. Bretagne qui, à ce moment, connait sa
première marée noire. Notez que j'aurais préféré pouvoir écrire
« la dernière ».
Quand, quelques heures plus tard, la mer dépose ce qui reste de
l'Erika sur la plage, il ne manque que peu de passagers dans la
carlingue. Ceux qui restent dégèlent, leur flore intestinale aussi…
Juste retour des choses, comme le poête nourri par ses vers de son
vivant les nourrit après sa mort, ces hommes, sortis du froid
nourrissent cette flore sortie d'hibernation.
Les comètes ont amené l'eau, l'air et la vie sur la Terre. La planète
Bleue peu maintenant vieillir. C'est là une autre histoire.
Il faut que Genèse se passe.
- © Christian Brissa
- octobre 2000