- Où suis-je ?
- Chez moi.
- Pourquoi suis-je ici ?
- Réfléchis ! Rappelle-toi !
Après hésitation
- Je me souviens. J'étais dans un avion.(Un
temps) L'avion est tombé.
Un temps
Non, il n'est pas tombé. C'est moi.
C'est moi qui ai fait tomber l'avion.
- La mémoire te revient. Continue.
- J'ai lancé l'avion sur un bâtiment. L'avion et ses passagers.
L'avion, ses passagers et mes frères aussi. Mes frères, où sont mes
frères ?
- Ne t'en fais donc pas pour eux. Ils sont acceuillis eux aussi.
- Qui es-tu ?
- Je suis le maître des lieux.
- Où suis-je ?
- Je te l'ai déjà dit : chez moi. Cesse de poser des questions.
Réponds plutôt aux miennes ! Pourquoi as-tu fait ce que tu as
fais ?
- Pour la gloire de Dieu.
- Pour la gloire de Dieu ? Tu es sûr ?
- Oui, sinon, pourquoi l'aurais-je fait ?
- Pourquoi ? Mais c'est à toi de le savoir ! Et c'est à toi
de me le dire.
- Pourquoi ? C'est difficile à expliquer. C'est difficile à
comprendre.
Un temps
Surtout pour quelqu'un qui ne me connaît pas.
L'homme tourne la tête et regarde son
interlocuteur pour la première fois
Mais ! je te connais. Enfin, je veux dire : ton visage ne
m'est pas inconnu. Je ne sais plus d'où, mais j'en suis certain :
je te connais.
- Ainsi, tu me connais. Il ne doit donc pas être difficile de
t'expliquer.
- Qui es-tu ?
- Je te l'ai déjà dis : le maître des lieux. Celà doit te
suffire. D'autant plus que tu affirmes me connaître.
Une longue hésitation
- Te connaître n'est peut-être pas le mot. Te « reconnaître"
serait plus correct.
- Tu as raison : me reconnaître est bien le plus important.
- Toi, maître des lieux, tu as besoin de reconnaissance ?
- J'ai besoin d'être reconnu, dans tous les sens du terme, par ceux
que j'acceuille. Regarde-moi.
Qui suis-je ?
L'homme examine longuement son interlocuteur
- A voir ton visage, à n'en pas douter, tu es un frère.
Un temps
Mais tes vêtements. Non, tes vêtements ne sont pas ceux d'un frère.
Des vêtements de sport, d'une équipe, laisse-moi bien voir pour être
certain,
Son interlocuteur écarte un bras pour monter
l'insigne qu'il porte sur la poitrine
d'une équipe Israélienne.
L'homme se recule brutalement
- Tu disais me connaître. Tu allais me reconnaître. Et un vêtement te
fait reculer.
Te ferais-je peur ?
- Tu ressembles à un frère. Et tu portes des vêtements d'incroyant.
- Existent-ils vraiment ces vêtements d'incroyants?
Existe-t-il des vêtements de croyants ?
Les tiens, Sont-ils de croyants ou d'incroyants ?
- Les miens ne comptent pas. Pour tuer, pour la gloire de Dieu, il m'a
fallu ruser, il m'a fallu tricher, me grimer, porter des vêtements
d'incroyants !
- Tu portes des vêtements d'incroyants et tu dis croyant. Les
vêtements sont-ils les garants de ta croyance ?
Dieu serait-il différent si au lieu de pantalons tu portais une
jupe ?
Dieu serait-il différent si au lieu d'un vêtement de sport je ne
portais rien ? Nu comme un vers, nu comme au moment de la
Création ?
- Je ne sais, je ne peux répondre à cette question. Les docteurs de la
loi ne m'ont autorisés à me cacher que pour me permettre de tuer pour
la gloire de Dieu.
- Pour la gloire de Dieu ! Tu n'as que ce mot à la bouche :
Dieu. Lequel ? Dieu est unique. Il n'est qu'un dieu pour les
Juifs : Jéhovah, il n'est qu'un dieu pour les Chrétiens :
Dieu, il n'est qu'un dieu pour le Musulmans : Allah ! Dieu
est unique. Il n'est qu'un dieu. Un seul. A qui les hommes donnent un
nom différent. Maintenant que tu es mort celà ne doit pas être d'une
grande importance. Non ?
Long, très long silence
- Un seul dieu. Un même dieu pour tous. Nus, les hommes pourraient
donc respecter Dieu autant que s'ils étaient couverts ! C'est
maintenant que je suis mort que je l'apprends. Maintenant que je suis
mort celà ne devrait pas être d'une grande importance. Maintenant que
je suis mort celà est important. Toute ma vie j'ai respecté Dieu. Je
l'ai prié 5 fois chaque jours, comme on me l'a appris. Je n'ai jamais
regardé la femme de mon voisin, comme on me l'a appris. Je n'ai jamais
bu une goute d'alcool, comme on me l'a appris. Je…
- Tu ! Tu ! Tu n'as jamais respecté Dieu : tu n'as
respecté que les préceptes de la religion : les apparences. Dieu
est dans chacune de ses créatures : pour prier, inutile de te
tourner dans une direction bien précise. Tu n'as jamais regardé la
femme de ton voisin, non parce qu'on te l'a appris, mais parce qu'un
voile la cachait à ton regard. Tu n'as jamais bu d'alcool, non parce
qu'on te l'a appris, mais parce qu'il t'a été impossible de t'en
procurer. Tu… Tu, tu n'as pas respecté Dieu. C'est pour ça que tu es
ici. Regarde-moi.
Reconnais-moi.
L'homme hésite à regarder son interlocuteur
- Toute ma vie a été vouée à Dieu. J'ai respecté Dieu ET les préceptes
de la religion. Ils sont indissociables. Toute ma vie a été vouée à
Dieu. J'ai respecté mes maîtres et les modèles qu'il m'a été donné
d'avoir.
Ces derniers mots font que réagir
l'interlocuteur
- Tes modèles ? Regarde-moi.
Me reconnaîtras-tu enfin?
L'homme examine longuement, très longuement
son interlocuteur
- Je te l'ai dit, ton visage… mais les vêtements…
- Mélange le visage et le vêtements.
- Ton visage. Il y a longtemps que je le connais tel qu'il est
maintenant. Mais je ne parviens pas à mélanger ton visage et tes
vêtements.
- Ces vêtements ont bientôt 30 ans. 29 exactement. A une semaine près.
Après une courte hésitation
- 1972. Septembre 1972.
Sur un ton de récitation
Le 5 septembre 1972, des frères ont exterminés les meilleurs
représentants de la jeunesse d'Israël en tuant les 11 sportifs
présents aux Jeux Olympiques de Munich. Il ont presque tous payé ce
geste de leur vie. Seuls 3 d'entre eux ont été arrêtés. L'intervention
courageuse d'un autre groupe a permis leur libération le 29 octobre
après une prise d'otages.
Cessant de réciter
C'est de là que je te connais… Tu as servi d'exemple à notre jeunesse.
- Bel exemple n'est-ce pas ?
- Oui! Je suis fier d'avoir donné ma vie pour Dieu.
- Dieu, encore une fois. Tu n'as donc pas encore compris ? Ne
sais-tu pas encore qui Je suis ?
- …
- Dieu ! Diable que tu es stupide !
Dieu a créé l'Homme à son image. Empli de bonté et d'innocence.
« Et le 7ème jour il se reposa ». Et le 7ème jour, moi qui
me prenait pour Lui, j'ai voulu améliorer sa création. Mal m'en a
pris ! L'Homme connaissait la beauté, je lui ai appris la laideur
pour lui permettre de reconnaître la beauté. L'Homme connaissait la
bonté, je lui ai appris à connaître le mal pour lui permettre de
reconnaître la bonté. Et Il est revenu. Son travail n'était pas fini.
Je l'ai gâché. Il m'a puni, m'a chassé du Paradis.
Depuis, quoi que je fasses, il m'est impossible de me racheter.
Mais je ne cherches plus à me racheter.
Il a permis à l'Homme de Le connaître, de Le vénérer, de Le prier. Au
début, l'Homme ne L'a vénéré que par morceaux : le dieu des
vents, de la pluie ou des forêts. Puis l'Homme a compris qu'Il était
unique, que les vents, les pluies ou les forêts n'existaient que par
lui.
Puis, « Pour Lui rendre hommage, les hommes ont voulu construire
une tour qui allait jusqu'au ciel.
Voyant que les hommes s'unissaient pour construire une tour jusqu'à
Lui, Dieu l'a détruite, séparant définitivement les peuples ».
Crois-tu vraiment qu'il se soit agit là de Son oeuvre ? Crois-tu
vraiment qu'Il aurait fait en sorte que ses enfants se
disputent ?
- Toute ma vie a été vouée à Dieu.
- Il suffit ! Ta vie, tu ne l'as pas vouée à Dieu. C'est à moi
que tu l'as dédiée. Sans le savoir, c'est vrai. Mais c'est à moi que
tu l'as vouée !
Oui, à moi ! Alors que la plupart des hommes se contentaient de
Le prier, d'autres, et tu en fais partie, n'ont vu que la religion et
ses principes.
D'autres, et tu en fais partie, ont remplacé Dieu par la religion.
Christophe Colomb, au nom de Dieu, mais sous mon influence, a donné
aux Sud-Amérindiens la possibilité de montrer qu'ils étaient créature
de Dieu : celui qui ne comprenait pas le latin - langue divine
s'il en est - n'avaient pas droit à la vie. 15 millions de ces
innocents sont morts de n'avoir pas compris ce qui leur était demandé.
La haine qu'il a semée perdure encore. Son contemporain, le Grand
Inquisiteur Torquemada, dont le nom signifie « combattre par le
feu », n'a pas hésité, sous mon influence, à purifier des
milliers d'innocents… en les faisant passer sur le bûcher.
Elisabeth, la plus grande reine d'Angleterre, au nom de Dieu, mais
sous mon influence, a entammé une guerre contre les catholiques. Cette
guerre continue encore en Irlande.
Ces intégristes d'avant l'invention du mot sont mes hôtes.
Pour la même raison que toi : Dieu a semé la bonté, moi, j'ai
semé la discorde. Certains, et tu en es, m'ont cru. Ils pensaient
obtenir le Paradis. Ils sont chez moi.
Une porte s'ouvre
Tout travail mérite salaire.
Il sort une bourse de sa poche, bourse qu'il
jète sur une table
C'est pour toi. Compte !
L'homme ouvre la bourse et compte les pièces
- 1, 2, …, 30. 30 deniers. Je ne suis pas le premier…
- Non, tu n'es pas le premier à toucher si peu pour une si grande
forfaiture.
Me reconnaîtras-tu enfin ?
L'homme tombe à genoux, pleurant sur lui-même
- Tu N'est QUE le diable !
- QUE, comme tu dis. Mais tu m'as reconnu. Enfin !
N'oublie pas : chaque fois que j'ai acceuilli quelqu'un, ce
quelqu'un venait de semer la haine.
Et la haine, c'est MON commerce.
- © Christian Brissa
- septembre 2001