Il y a 20 ans qu'il ne la voit plus.
Dans 10 minutes elle sera là. Il va la revoir.
Les 10 minutes sont loin d'être écoulées qu'elle est là. Elle n'a pas
changé. Elle est toujours aussi belle.
Il l'embrasse : un chaste baiser sur la joue.
- « Comment vas-tu ? »
- « Bien. Et toi ? »
Alors qu'ils vont chez elle, il apprend qu'elle est restée
célibataire. Il lui apprend qu'il est dans la même situation. Ils en
sont tous les 2 surpris. Il est vrai qu'ils avaient, elle un petit
ami, lui une petite amie.
- « Je te sers un café ? »
Tout en le sirotant, ils papotent, se souviennent du passé. Etudiants
dans des facultés différente de la même université, ils ont partagé
quelques guindailles. Ca crée des liens. Et des souvenirs.
- « Pourquoi souris-tu ? »
- « Oh, pour rien » répond-t-il.
Pourtant, il y a une question qu'il s'est souvent posée.
Un été où il faisait fort chaud, il se promenait régulièrement nu dans
le studio qu'il occupait.
Elle est passée.
Plusieurs fois.
Il s'est, à chaque fois, caché, pour qu'elle ne le voie pas nu.
Naturiste, sa nudité ne le gênait pas. Plusieurs copines l'avaient
d'ailleurs vu dans le plus simple appareil. Mais elle, non. Il ne
s'était jamais montré ou laissé voir par elle.
- « Dis moi ! »
- « Bah, rien d'important. Tu te souviens, l'année où il a fait
si chaud ? »
- « Oui. Tu te promenais nu chez toi, et quand j'arrivais tu
courrais pour te rhabiller. Oui, je me souviens. »
Une petite hésitation puis :
- « Et alors ? »
Lui aussi hésite un peu:
- « Et bien… je me suis souvent demandé ce que tu aurais fait si
tu m'avais trouvé endormi »
- « Tu veux dire: endormi nu sur le tapis plain ? »
- « Oui »
Elle se lève, lui attrape le bras :
- « Ici aussi, il y a du tapis. Viens. »
Avant d'avoir vraiment compris ce qui se passe, il se retrouve dans la
salle de bain :
- « Déshabille-toi, couche-toi sur le tapis, je reviens dans une
demi-heure. Comme ça, tu sauras. »
Sa voix est rieuse. Malgré leur âge, il pense plus à une blague de
potache qu'à autre chose.
- « OK »
Elle est déjà partie : il a entendu la porte s'ouvrir, mais pas
se refermer. Tout comme la porte de son studio qu'il laissait toujours
grande ouverte. Blague ou pas, il a accepté, elle est sortie, il doit
jouer le jeu.
Ce à quoi il ne s'attendait pas du tout.
Comme il est nu, il prend une douche rapide, sort de la salle de bain.
Personne.
Il se couche à même le sol, comme il le faisit souvent.
- « Que va-t-elle faire ? » pense-t-il.
Mais il n'a pas le temps de chercher une réponse : il s'endort
pour de bon.
Elle sourit en le voyant.
Qu'aurait-elle fait il y a 20 ans ?
Rien.
Elle sourit en le regardant.
Elle le retrouve comme il y a 20 ans.
Car plus d'une fois elle est venue alors qu'il dormait. Elle se
contentait de le regarder : n'avait-elle pas un petit ami à
l'époque ?
Mais maintenant elle est libre.
Et lui aussi.
Jacqueline se déshabille. Lentement, sans bruit. Se couche à terre,
la tête sur le ventre d'Albert.
Qui s'éveille.
Et essaye de ne pas bouger.
Mais qui ne peut s'en empêcher : sa main s'en va seule se poser
sur l'épaule de Jacqueline.
C'est comme un signal, car voila Jacqueline qui bouge elle aussi.
Avec délicatesse, elle prend le sexe d'Albert, entre ses doigts
d'abord, entre ses lèvres, ensuite.
Albert est pétrifié.
Puis se détend et se laisse aller.
Se laisse aller dans la bouche chaude de sa copine. Copine qui va,
ensuite, se blottir dans les bras d'Albert.
Ils restent quelques minutes sans bouger, sans parler.
Quand elle va pour se lever, il la retient, la recouche, glisse sa
tête entre ses jambes, lui rend le plaisir qu'elle lui a donné.
Puis prend, dans ses bras à elle, la place qu'elle avait dans ses bras
à lui.
Ils restent quelques minutes sans bouger, sans parler.
Il baisse sa tête, relève celle de Jacqueline.
Le regard qu'ils échangent est chargé d'un désir mutuel. Il lui ouvre
les jambes, se couche sur elle, la pénètre. Ils échangent leur premier
baiser, long, passionné, un baiser qui les entraîne au paradis.
Elle l'a sucé, il lui a fait minette, ils ont baisé.
Ces mots, qui sont ceux qu'il aurait utilisé il y a peu, lui
apparaissent pour ce qu'ils sont : vulgaires, irrespectueux, ne
reflétant pas la réalité.
Elle lui a donné du plaisir comme jamais on ne lui en a donné.
Il lui en a donné comme jamais il en a donné.
Ils ont fait l'amour.
Tout simplement.
Ils recommenceront. C'est certain.
Et ce sera mieux encore.
Mais pour ça, il devra la connaître, pour ça, il devra l'apprendre,
pour ça, il devra la prendre.
Il est, ils sont amoureux.
Depuis vingt ans.
- © Christian Brissa
- octobre 2003